http://lenvolee.net/le-combat-sans-fin-de-chloe-transsexuelle-incarceree/

https://kedistan.fr/2015/01/25/homophobie-esclavagisme-prostitution-prisons-turques/

https://badasseszine.wordpress.com/2013/09/09/la-vraie-vie-de-sophia-burset-le-cauchemar-vecu-par-les-femmes-trans-emprisonnees/

Une transsexuelle dans une prison d’hommes

Ma pote Kira est une transsexuelle de 28 ans qui a récemment été libérée de la pire prison new-­yorkaise, après trois années d’enfermement. Kira est née homme à Hialeah en Floride, une petite ville pas loin de Miami. Ses parents étaient tous deux des immigrés colombiens, qui l’ont aimée et chérie comme la plus jeune de leurs huit enfants, six garçons (dont Kira) et deux filles.

À l’époque déjà, les parents de Kira ont compris qu’elle était différente. Au jardin d’enfants, elle les questionnait sur les différences entre un garçon et une fille, même si elle n’était pas encore capable de comprendre exactement de quoi il s’agissait. Elle adorait les activités habituellement réservées aux filles, surtout la coiffure. Ses frères avaient pris l’habitude de la traiter de pédé et de lui dire qu’elle n’appartenait pas à la même famille qu’eux. Quand Kira a eu 8 ans, on a diagnostiqué chez elle un trouble de ­l’identité sexuelle, et dans le même temps, sa mère était envoyée en prison pour vente de ­cocaïne. La famille s’est scindée et Kira a emménagé seule avec son père.

À 13 ans, Kira savait déjà qu’elle voulait changer de sexe, mais elle ne l’a avoué à ses parents que des années plus tard. Ils ont ­respecté ses choix. Elle était caissière dans une épicerie à l’époque, et à l’âge de 20 ans, elle avait économisé assez d’argent pour déménager à New York et recourir à des interventions chirurgicales qui allaient lui permettre de peu à peu se transformer en fille. Ses poils disgracieux ont disparu sous les effets du laser et sa poitrine a gonflé du jour au lendemain – pour la première fois, la vie semblait enfin lui sourire.

Puis, en 2006, son père est tombé gravement malade, un caillot de sang s’est formé dans une de ses artères. Kira devait assister à la Winter Music Conference en Floride, elle en a profité pour passer du temps avec son père malade et prendre soin de lui. Elle est restée à son chevet pendant quelques longs mois, jusqu’à ce qu’elle reçoive un coup de fil de la part d’un ami la suppliant de revenir à New York. Elle était loin de se douter qu’il s’agissait là du début de trois années d’emprisonnement, durant lesquelles elle a dû endurer les moqueries des gardiens, des conditions de vie impossibles, des détenus violents, et une palette infinie d’horreurs en tous genres. Je suis allé parler avec elle pour écrire son histoire noir sur blanc, et mettre en lumière les dangers qu’encourent les gays, lesbiennes, bi et trans lorsqu’ils sont derrière les barreaux.

Vice : Quel a été l’élément déclencheur de cette série noire qui a commencé pour toi il y a quatre ans ?
Kira : Après avoir passé quatre mois en Floride, au chevet de mon père malade, je commençais à en avoir vraiment, vraiment marre. Il n’y a rien à faire là-bas, à part aller à la plage. Je mourais d’envie de me tirer, et, au début du mois de juin, j’ai reçu un coup de fil d’un ami de Long Island. Il m’a dit : « Kira, je sais qu’on a eu des hauts et des bas, mais tu es ma meilleure amie, et je veux que tu me rejoignes ici. Tu ne veux pas passer me voir à New York ? » À l’époque, j’étais escort girl et je lui ai répondu quelque chose comme : « Tu sais, les temps sont durs en ce moment. Je n’ai pas d’argent. » Il a proposé de me payer le billet d’avion, et le jour suivant, j’étais à New York.

Ça t’a pris combien de temps pour t’attirer des ennuis ?
À partir du moment où je l’ai rejoint, ça a été une orgie continue de drogues en tous genres. Une pipe à crystal meth m’attendait à l’arrière de la caisse, à l’aéroport, et on s’est mis à en fumer en continu. Une fois descendue de l’avion, mon unique but était de faire la fête.

Et tu es allée en club immédiatement après être arrivée ?
J’ai fumé un joint de meth, baby, et je suis sortie du vendredi soir au lundi matin. Puis on a vogué d’after en after. Samedi soir, on a été à l’Assetaria, puis on a été au Green Room le lundi matin. Et je suis allée ensuite chez ma petite copine. Elle était là, genre : « Mes gosses ne vont pas tarder, tu vas devoir y aller, ma petite. » Quand je suis finalement rentrée chez moi, j’étais dans un état de ­délire avancé.

Tu n’avais pas encore dormi ?
Non, et en plus j’avais très envie de baiser. Je suis allée sur Internet pour essayer de trouver un partenaire potentiel. Mon ex-petit copain est venu me parler par chat pour me demander si j’étais bien à New York. Je lui ai répondu que j’étais à Miami. Il a continué à me demander si j’étais sûre de ne pas avoir le moindre gramme de drogue sur moi, et au bout d’un moment j’ai cédé et lui ai dit que j’étais à New York avec un taz, 50 dollars de crystal meth, et un peu de kétamine. Je lui ai dit que j’étais d’accord pour qu’on se voie. En sortant de chez moi, je suis tombée sur un autre ami qui m’a filé un pochon de meth et un autre de coke. Il m’a proposé de m’avancer en voiture jusque devant chez mon ex dans le Queens, mais j’avais oublié où il habitait exactement. Je l’ai donc appelé pour que l’on se rejoigne quelque part et il m’a proposé le Burger King près de chez lui.

Ça a l’air louche.
Bref, mon ami m’a déposée au Burger King en question et il est allé chercher de la bouffe pour nous deux. Alors qu’il était en train de revenir, mon ex est arrivé dans son 4×4. Il est descendu de sa caisse, a couru vers mon pote, lui a sauté dessus et on s’est tous embrassés. Presque immédiatement, il a demandé ce qu’il en était de la drogue, et je suis allée la chercher dans la caisse. Quelqu’un est arrivé de nulle part et m’a poussé violemment sur le capot. J’ai cru que mes seins allaient exploser. J’ai regardé en direction de mon pote, et il était lui aussi immobilisé sur la voiture. Je lui ai demandé tout bas : « Mais putain, qu’est-ce qui se passe ? »

Les flics ont trouvé la came tout de suite ?
Ouais, puis l’un deux est arrivé avec un gros paquet de billets et m’a demandé : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Puis, il l’a jeté sur le sol en me disant : « C’est fini maintenant. » Je portais des hauts talons, une microjupe et un bustier. Le flic s’est dit qu’il avait le droit d’attraper ce qu’il croyait être ma chatte. Quand il a senti une bosse, il a pété un câble. Il s’est écrié : « C’est un putain de pédé ! » Et il a resserré les menottes. Il allait presque être gentil avec moi et peut-être même me laisser manger mon Burger King lorsqu’il pensait que j’étais une fille, mais quand il a compris qui j’étais vraiment, il a écrasé mon burger avec son pied. J’étais dégoûtée. Je n’avais presque rien mangé de la semaine !

Et qu’est-ce qui est arrivé ensuite ?
Au commissariat, les flics ne savaient pas quoi faire de moi. Ils étaient là, genre : « On n’a jamais vu quelqu’un comme toi. On sait que ça ne regarde que toi, mais qu’est-ce que tu caches là-dessous au juste ? » J’étais sous le choc. Je leur ai dit : « Eh bien, je suis une transsexuelle en phase préopératoire ; j’ai des seins et un pénis. Peu importe ce que vous ferez, faites en sorte que je sois en sécurité. » Un agent femme m’a fouillé le haut du corps, et c’est un homme qui s’est occupé du bas. Puis j’ai été interrogée. Ils ont prétexté qu’ils étaient tombés sur 10 grammes de cocaïne, alors que les seuls trucs qui traînaient dans la caisse, c’était du crystal meth et un peu de coke. J’ai pensé qu’ils étaient juste en train de bluffer.

Tu ne savais vraiment rien des 10 grammes de coke ?
Non, soit ils venaient de les inventer, soit ils appartenaient au mec qui me conduisait. Trois jours après, j’ai finalement été jugée. Avant de voir le juge, un avocat commis d’office est venu me parler pour me raconter toutes les conneries inventées par les flics. Je lui ai dit : « La seule chose vraie, c’est que j’avais en effet sur moi un pochon de coke et un autre de crystal. Tout le reste est un immense tissu de mensonges. Je ne me prostitue pas, et je ne fais pas la promotion de mes services sur Internet. Tout ceci est ridi­cule. » Il m’a dit de me taire et de signer quelques formulaires. J’ai tout signé, sans savoir de quoi il s’agissait en réalité. Finalement, je suis passée devant le juge, et il a fixé ma caution à 350 000 dollars. Je suis ­restée bouche bée.

Tu as été envoyée en prison immédiatement ? Où ça ?
Dans un endroit qu’on appelle « Le Bateau ». C’est une zone de détention au large de Rikers Island. C’est un bateau-prison. Quand tu arrives là-bas, tu dois faire un bilan de santé. Le médecin m’a demandé si je voulais être incarcérée dans la zone réservée aux homosexuels. J’ai répondu que oui, signé les papiers et j’ai pensé que j’allais être rattachée au groupe des filles. Mais quand je suis arrivée dans le couloir, j’ai aperçu quelque chose comme 60 mecs. Ils y avait des gays et des hétéros – j’ai su par la suite que la zone homo avait été fermée quelque temps auparavant sans que le médecin ne soit mis au courant. Heureusement, les flics m’avaient filé une combinaison trois fois trop large, pour que je puisse cacher mes seins. Les détenus ont juste pensé que j’étais un pédé quelconque et ont commencé à hurler qu’ils ne voulaient pas dormir à côté de moi.

Et en plus de ça, tu devais être en pleine ­descente de meth.
Oh ouais, je flippais sévère. Je n’arrêtais pas de trembler. J’ai finalement réussi à trouver un endroit où dormir. Les jours suivant ont été très durs, puisque je ne pouvais pas me risquer à prendre une douche avec les autres détenus. Un voisin de cellule m’a dit au bout d’un moment que mon odeur corporelle devenait insupportable. Je lui ai dit que j’étais terrifiée à l’idée de me doucher avec les autres, il n’a pas compris pourquoi et j’ai dû ouvrir ma combinaison pour lui montrer ma poitrine. Il a fait en sorte que j’aille me doucher au moment où les autres détenus étaient en ­promenade. Puis, au bout d’un moment, on m’a transférée à la vraie prison de Rikers Island.

Et c’était encore plus dur là-bas ?
Un jour après mon arrivée, je regardais la télé, et un noir est venu me voir en disant : « T’es sur ma chaise. » Je l’ai ignoré. Puis il m’a dit : « Putain de pédé ! Tu m’as pas entendu ? ». Le fait qu’on m’appelle comme ça a déclenché un truc au fond de moi. J’ai attrapé une chaise et la lui ai balancée sur la tête. Je l’ai mis à terre et je l’ai roué de coups. J’ai su par la suite que j’avais fait une erreur, parce que le gamin en question faisait partie des Bloods.

Qu’est-ce qui s’est passé ? D’autres Bloods en ont eu après toi ?
Ils m’ont donné un avertissement. Ils m’ont dit que je devais prendre mes affaires et m’en aller ou sinon, j’allais me faire planter. Je pense que j’ai eu de la chance, parce qu’ils m’ont dit que si je n’avais pas été une transsexuelle, je n’aurais pas reçu d’avertissement. J’ai donc demandé à être transférée vers une autre section de la prison, et je suis partie.

Cet incident a finalement eu quelles conséquences ?
Ils m’ont fait déménager dans la section la plus dangereuse de Rikers Island. Ça s’appelle le D-Top. Je peux te dire que personne ne voulait de moi là-dedans. J’ai été transférée de nuit, et les mecs se sont mis à hurler les pires insultes quand ils m’ont vue. Quand je suis sortie la première fois pour aller manger, j’ai remarqué qu’il n’y avait qu’un seul mec d’origine hispanique dans la section. Tous les autres étaient noirs, et soit musulmans, soit Blood. Tout de suite, les mecs m’ont dit de dégager de cette section, autrement je serais battue ou tuée. Je l’ai répété aux gardes et ils m’ont répondu que je devais d’abord leur donner les noms de ceux qui m’avaient menacée avant qu’ils ne me transfèrent, mais comme je connais mes droits, je leur ai dit qu’ils étaient obligés de me transférer si je pensais que ma vie était en danger. Ils ont finalement coopéré et j’ai été déplacée dans une autre aile de la prison, près de la cafétéria.

Et c’était moins dangereux là-bas ?
Eh bien, quelque chose de différent est survenu cette fois-ci. Il y avait un noir dans cette section qui était connu pour être un « chasseur de trans » – ils l’appelaient même le « booty bandit ».

C’est-à-dire qu’il s’agissait d’un violeur ?
Non, il aimait juste les culs et cherchait à les atteindre par tous les moyens possibles. Je l’obsédais. Il faisait en sorte de me laisser prendre ma douche à 7h30 du matin toute seule afin que « personne ne puisse m’embêter ». En réalité, c’était pour me regarder me doucher pendant qu’il se branlait à côté dans un urinoir. Le pire dans tout ça, c’était qu’il était l’un des leaders Blood et que si jamais quelqu’un apprenait son petit manège, on aurait pu croire que c’était moi qui le provoquait. C’est pourquoi j’en ai parlé à l’un des mecs hispaniques de la section, et il l’a ­répété à un membre des Bloods.

C’est plutôt risqué. Qu’est-ce qui est arrivé ?
Un matin, je me suis réveillée et j’ai pris ma douche. Bien entendu, le pervers était là et s’est mis à se branler. Il était tellement concentré sur moi qu’il n’a pas vu qu’un autre membre des Bloods l’avait suivi. Il était piégé. Comme il avait déshonoré les Bloods, il a immédiatement dû prendre ses affaires et s’en aller.

Tu es restée dans cette section jusqu’à la fin de ton incarcération à Rikers ?
Non. Il y a une règle à Rikers – tu n’as pas le droit de passer plus d’un an au sein de la même section, c’est pourquoi ils m’ont déplacée vers ce que je pensais être la zone la plus dangereuse de la prison. Ça s’appelle « le Phare ».

Pourquoi c’est considéré comme la section la plus dangereuse ?
Parce qu’on y trouve les prisonniers les plus cinglés. Il n’y a aucun « mouvement » dans cette section, tu es obligé de manger dans ta propre cellule et tu ne sors que pour te ­doucher et aller chercher de la bouffe. C’est dans cette section que sont envoyés tous les meurtriers. J’étais terrifiée à l’idée d’aller là-bas, parce qu’en plus je devais quitter un endroit où je me sentais en sécurité. Mais les gens de la prison m’ont promis que je serais transférée dès qu’ils le pourraient – ils devaient me placer dans une zone consi­dérée comme plus libre. Mais peu à peu j’ai compris qu’il s’agissait d’une section Crip, et les Crips ne peuvent pas déconner dans leur section parce que, sinon, ils peuvent être transférés en section Blood et risquer de se faire tuer.

Donc finalement, le transfert s’est avéré être une bénédiction ?
Au début c’était horrible, puis j’ai réalisé que j’avais ma propre cellule avec vue sur Manhattan, le Midtown Skyline et l’Hudson River. J’avais aussi l’air conditionné, et on était en plein été. C’était un luxe par rapport à là où j’étais auparavant. Un matin, l’un des gardes m’a dit qu’il y avait une autre fille comme moi dans la prison. Alors que j’étais en train de prendre mon petit déjeuner, ­quelqu’un est arrivé devant moi et a fait : « Ah vous voilà, Miss Honey ! Enfin une fille qui a l’air d’une fille. » Elle s’appelait Venus et c’était une transsexuelle noire originaire de Caroline du Sud. Elle avait déjà fait dix ans de taule, et c’était un plaisir de l’avoir à mes côtés, parce que j’avais l’impression que rien de mauvais ne pourrait plus m’arriver.

C’était la seule trans de la prison ?
Malheureusement, non. Il y avait une autre fille, si l’on peut dire. Elle a surgi de nulle part un jour, alors que je mangeais, et j’en ai presque vomi. Elle ressemblait à un gros gorille, tout noir, une vraie bête. Elle s’appelait Lisa. Elle portait l’une de ces perruques afro de vieille dame, avec des froufrous partout. Elle jurait que c’était de vrais cheveux. Elle avait une cicatrice sur un œil, comme si elle s’était battue plein de fois, et ses seins énormes et tombants ressemblaient à deux gros sacs à pain. Elle pissait la porte ouverte, debout. Quand elle se levait de son siège après avoir chié, du sang lui sortait par le trou de balle. C’était répugnant.

Oh mais c’est dégueulasse !
Ouais, les Crips la détestaient mais gardaient leurs distances avec elle parce qu’on voyait bien qu’elle avait déjà botté des culs. Puis elle s’est mise à m’en vouloir parce que j’attirais l’attention des garçons, alors que ce n’était même pas sexuel – c’était plutôt amical.

Finalement, tu t’en es bien sortie au Phare ?
Je ne suis restée là-bas que quelques mois, le temps que je passe devant la cour, au mois de décembre. Mon avocat m’a dit que j’avais le choix : je pouvais soit passer en procès, soit accepter une peine de trois ans. Si je m’engageais dans une procédure pénale, je devais payer mon avocat plus cher et, si jamais l’État refusait de séparer nos cas (celui du chauffeur et le mien), nous pouvions être jugés tous les deux ensemble. Si je perdais le procès, il y avait même des risques que je reste en taule plus longtemps, j’ai donc opté pour la peine de trois ans. Comme j’étais déjà à Rikers depuis 18 mois, il ne me restait plus que la moitié à faire. J’ai aussi essayé de faire revoir mon classement puisque j’étais une A-2, qui est le stade juste avant celui de meurtrier. Je leur ai dit que pourtant, je n’avais jamais été en prison auparavant, mais ils n’ont rien voulu savoir. Ils m’ont dit que mon classement ne serait pas minoré, et que j’irais en prison dans le nord de l’État. Puis ils m’ont renvoyée au Phare pour quelques jours encore, et m’ont finalement transférée.

Voici Kira à Rikers ; elle a toujours ce Polaroid dans son sac,
pour lui rappeler de ne rien faire d’illégal

Tu avais une idée de ce qui t’attendait dans le nord ? Tu étais inquiète ?
J’étais terrifiée parce que les gardes de Rikers sont très différents de ceux du nord de l’État, où ils peuvent faire ce que bon leur semble. J’avais entendu dire que dans le nord, les gardes harcelaient les gays et les trans, en plus de les battre. Ils m’ont envoyée dans une maison d’arrêt nommée « Downstate », ce qui est bizarre compte tenu du fait qu’elle se trouve tout au nord de l’État. Downstate est un genre de prison de transit, on n’y reste jamais plus de deux mois. Après ça, j’ai été transférée à la prison d’Auburn. J’avais très peur d’aller là-bas parce que c’est une prison de sécurité maximale.

Et pas Downstate ?
Aussi, mais ça ne me semblait pas si terrifiant que ça. Auburn, c’est terrifiant. C’est grand, sombre, pluvieux, et j’ai débarqué là-bas en plein milieu de la nuit. Ils m’ont placée dans le bloc D.

Ça n’a pas l’air d’être l’endroit le plus accueillant qui soit.
Ouais, les gardes étaient plutôt horribles. Ils me montraient aux détenus en disant des trucs comme : « Est-ce qu’elle n’a pas l’air d’une vraie ? » C’était tellement gênant. Les autres détenus placent des miroirs à l’entrée de leur cellule pour voir qui arrive dans le hall, et dès que je me pointais, ils hurlaient : « Regardez le monstre ! » J’avais peur que quelqu’un me jette de l’huile bouillante ­dessus. Je rentrais dans ma cellule et je me mettais à pleurer. J’ai failli devenir folle. Je suis restée dans le bloc D de février à avril, puis ils m’ont transférée au bloc C, où j’ai subi un traitement anti-drogue. C’était moins dangereux là-bas, mais comme par hasard, c’est le moment qu’ont choisi mes dents pour commencer à me faire mal. Il s’est avéré qu’on devait m’enlever mes dents de sagesse, et pour ce faire, j’ai été transférée vers la prison d’Attica, où l’on peut recourir à des interventions chirurgicales. Attica est réputée pour être la pire prison de l’État de New York.

Et c’était vrai ?
Je vais le dire de cette façon : dès que je suis arrivée, ils m’ont « strip-fouillée ». L’officier qui s’en est chargé m’a dit de ne pas bouger d’un pouce, mais alors qu’il procédait à la fouille, j’ai senti monter en moi une énorme envie d’éternuer. J’ai essayé de lutter contre au début, mais au bout d’un moment j’ai dû obéir à mon corps. Quand j’ai enfin éternué, il m’a plaquée contre le mur en disant : « Je t’avais dit de pas bouger, espèce de putain de pédé. Tu vois ce que tu me forces à faire ? » Puis il m’a conduite à la visite médicale et l’officier en charge de là-bas a regardé mes ongles et m’a dit : « Si tu ne coupes pas ces putains d’ongles, je vais devoir te couper les doigts. Je me fous de savoir si tu dois les mordiller, les mâcher, ou bien les avaler, mais la prochaine fois que je fais ma ronde, ils devront avoir disparu. »

Et alors, qu’est-ce que tu as fait ? Tu les as mangés ?
Ouais ! Et après ça il m’a dit : « Comme t’es un putain de pédé, je ne vais pas te mettre dans une cellule avec d’autres mecs parce que sinon tu seras trop occupée à sucer des bites toute la journée. »

Combien de temps tu es restée à Attica ? Ça ressemble à l’enfer sur terre.
Une semaine seulement. Je me suis fait opérer un jour après être arrivée, et j’ai dû revenir à Auburn. Le matin, ils nous ont réveillés en nous disant : « Vous allez tous passer une radio, et le docteur va voir ce qu’il peut faire pour vous. » En regardant la radio de ma mâchoire, le médecin m’a dit : « Vous en avez deux en haut qui ne sont pas complètement sorties, mais elles arrivent – elles ne vont pas tarder. Celles du bas, en revanche, nécessitent une opération, et on ne va pas pouvoir la faire aujourd’hui. Je peux seulement sortir celles du haut. » Donc on m’a enlevé les deux de la mâchoire supérieure, et je suis restée une nuit de plus pour que le médecin puisse sortir les autres le ­lendemain. Mais il n’est pas venu, et j’ai dû attendre, encore et encore. J’ai demandé à d’autres détenus ce que j’étais censée faire, et ils m’ont dit de retourner à Auburn. Ils m’ont dit que j’allais me mettre dans un drôle de pétrin si jamais je devais attendre le dentiste ou courir après lui. Donc j’ai arrêté d’y penser et c’en était fini. Quand je suis revenue à Auburn, au lieu de pouvoir me réinstaller dans ma cellule, je m’étais fait transférer dans le bloc le plus dangereux de la prison, le bloc A, là où les gardiens sont de loin les plus frais.

Comment ça, « frais » ?
Fins, dans leur façon de parler aux gens. Ils n’arrêtaient pas de me hurler dessus, de crier, et d’être infernaux avec moi. Ils passaient près de ma cellule et me disaient de leur sucer la bite entre les barreaux, de leur montrer mes seins et de m’accroupir pour ouvrir mon cul. C’était extrêmement déplacé. Aussi, ils avaient entendu parler de certaines de mes photos intimes et cherchaient à mettre la main dessus à tout prix. Jamais je ne les aurais laissé les voir, c’est pourquoi un jour ils sont entrés dans ma cellule et les ont toutes volées. Toutes !

Grands dieux ! Ensuite, les choses se sont améliorées ?
Ils m’ont transférée au bloc C, et tout est allé mieux là-bas, les gardes ont été cool avec moi dans le bloc C. Mais ils m’ont une nouvelle fois transférée, dans le bloc E. Il n’est pas si terrible que ça en soi, mais pour y accéder, il faut traverser le bloc A. Ce qui veut dire que je devais me coltiner les mêmes connards qui me harcelaient en permanence, juste pour pouvoir aller jusqu’à ma cellule ! Il est arrivé un moment où je n’osais même plus aller déjeuner parce que j’avais trop peur des potentielles insultes et humiliations.

Comment, finalement, as-tu réussi à te tirer de la prison ?
Ils m’ont félicitée pour ma bonne conduite et j’ai dû me soumettre à un programme de désintox. Lorsque je l’ai terminé et réussi, ils m’ont libérée pour me récompenser. Au bout du compte, j’ai été emprisonnée pendant un peu moins de trois ans.

Pourrais-tu nous donner ton point de vue sur la manière dont sont traités les gays, ­lesbiennes, bi et trans au sein de l’univers carcéral américain ?
Le truc, c’est que le système pénitentiaire pense que les gays, transgenres et transsexuels sont des gens qui ne valent rien – et surtout si vous avez le malheur d’être noir ou hispanique. Ils mettent ce type de gens en prison pour moins que rien et leur font subir les peines les plus longues possibles, parce qu’ils pensent que de toute façon, personne n’en a rien à foutre de nous – il y a déjà deux inculpations contre vous, celle d’être noir ou latino, plus celle d’être gay ou transsexuel. Ils pensent qu’ils peuvent vous coffrer pour n’importe quoi, et autant de fois qu’ils le veulent.